Message d'accueil du Dr Denis Mukwege à l'occasion de la table ronde sur les réparations organisée à Kinshasa, République démocratique du Congo
Date and time
Location
Kinshasa, République Démocratique Du Congo
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Chers associations et partenaires,
Je suis heureux de m’adresser à vous dans le cadre de cette table ronde sur les réparations aux survivant.es de violences sexuelles liées au conflit en République démocratique du Congo (RDC).
Je voudrais remercier les co-organisateurs de cette table-ronde, le Fonds Mondial pour les Survivantes de violences sexuelles, la Fondation Panzi, le Mouvement National des Survivantes de Violences Sexuelles en RDC et tous les participants ici présents.
Je sais combien d’efforts requière l’organisation d’un tel événement. Nous aspirons à ce que les discussions et les débats qui vont animer les différentes sessions de cette table ronde soient constructifs et contribuent à l’élaboration d’une politique nationale de réparations en faveur des survivant.es et des survivants en RDC.
Mesdames, Messieurs,
Depuis plus de 20 ans, les violences sexuelles sont une arme de guerre utilisée par toutes les parties au conflit dans notre pays.
Pour tuer, stigmatiser et exclure des femmes, des hommes, des enfants, des communautés toutes entières.
Ces violences sexuelles sont un véritable instrument de déshumanisation. Aux conséquences dramatiques.
Dans notre pays, les survivant.es sont plongées dans une détresse sans commune mesure. Cette situation ne peut perdurer.
Non seulement les victimes continuent de vivre avec de lourds traumatismes physiques et mentaux, mais elles ne peuvent pas non plus reconstruire leur vie et aspirer, enfin, à une certaine sérénité.
A l’Hôpital Panzi, nous faisons de notre mieux pour aider les survivant.es à surmonter les pires traumatismes, grâce à des soins holistiques.
Mais pour une véritable guérison, il manque une pièce majeure à notre grand puzzle.
Cette pièce manquante, c’est ce qu’on appelle les « réparations ».
Ces réparations, auxquelles les victimes ont droit, représentent une mesure de justice. Elles reconnaissent également le préjudice infligé et fournissent un soutien financier ou matériel pour se reconstruire dans la dignité.
Pourtant, seule une minorité de survivant.es recevront des réparations par un mécanisme judiciaire formel, en particulier dans une République démocratique du Congo où une réforme du secteur de la justice s’impose.
Les obstacles, légaux et autres, sont multiples.
Bien souvent, les victimes ne connaissent pas et ne sont pas en mesure d’identifier ni leurs bourreaux, ni leurs uniformes.
Même dans le cas où elles connaissent l’auteur, déposent plainte et obtiennent un jugement, ceux-ci sont rarement exécutés, ce qui laisse les survivants avec un goût amer de justice à moitié rendue.
Mesdames, Messieurs,
Lorsque l’Etat n’a pas su protéger sa population en temps utile, ni rendre justice aux victimes, la communauté humaine a l’obligation morale et juridique d’agir.
C’est pourquoi je suis reconnaissant aux survivant.es, au Mouvement National des Survivant.es, à la Fondation Panzi, au Fonds Mondial, aux experts des Nations-Unies et aux autorités nationales d’avoir pris part à ce projet pilote sur les réparations intérimaires.
Votre rôle est capital.
Votre engagement sera un modèle pour tous les autres projets.
Certes, il a fallu faire fi des hésitations, des atermoiements et des tergiversations.
Mais grâce au soutien de tous et du Royaume-Uni, nous sommes désormais actifs dans plusieurs localités du Sud et Nord Kivu ainsi qu’au Kasai-Central, où plus de 1000 survivant.es recevront des mesures de réparation intérimaires, individuelles et collectives.
Ce projet démontre qu’il est possible de mettre en œuvre des réparations, pour et avec les survivant.es de violences sexuelles.
Et de contribuer ainsi à améliorer les perspectives de vie des unes et des autres.
Mesdames, Messieurs,
Aujourd’hui, il est urgent de mener une réelle politique de réparations.
Des initiatives variées existent déjà. Différents ministères travaillent à mettre en place des mesures de réparation et de justice transitionnelle.
Mais la création d’un Fonds national de réparations pourrait en être le plus vibrant témoignage. Il est donc essentiel de s’accorder sur une feuille de route commune, ayant pour pierre angulaire la création de ce Fonds national et de mesures de réparation holistiques.
C’est pourquoi je compte sur l’engagement et la ténacité de toutes les autorités concernées de la RDC, de votre groupe de travail et de toutes les personnalités ici réunies pour établir ce Fonds national et le rendre opérationnel dans les meilleurs délais.
Mesdames, Messieurs,
L’indifférence et l’inaction ont trop longtemps prévalu. Il est grandement temps de mettre fin à cette tragédie humaine.
Il n’y aura pas de paix durable sans justice et tant que les femmes victimes ne seront pas entendues par l’Etat, et qu’elles ne seront pas associées pleinement à la construction de la paix et à la consolidation de la société.
Je lance aujourd’hui un appel à tous et à chacun d’entre vous,
Mesdames et Messieurs, Mesdames et Messieurs les Ministres, les Ambassadeurs, les experts, les représentants de la société civile,
Pour porter à bras-le-corps, et à votre niveau,
Cet agenda commun autour des réparations.
Ces réparations devront être mises en œuvre en parallèle et en complémentarité avec le recours aux autres mécanismes de la justice transitionnelle.
Avec pour objectif d’assurer aux victimes des crimes les plus graves non seulement leurs droits à des réparations mais aussi à la justice, à la vérité et à des garanties de non-répétition des atrocités.
Bon travail et merci pour votre engagement au service de la justice et de la dignité des survivantes de violences sexuelles.